Les bactéries lactiques sont utilisées depuis très longtemps pour la conservation des aliments. Elles agissent par l'intermédiaire de certains de leurs produits de métabolisme, capables d'inhiber le développement de flores bactériennes d'altération et/ou pathogènes. La production d'acide lactique est le caractère le plus exploité dans ce domaine, mais d'autres produits de métabolisme tels que le peroxyde d'hydrogène et le diacétyle sont également des agents antimicrobiens. Certaines bactéries lactiques sont par ailleurs susceptibles, si les conditions de développement sont favorables, de synthétiser des bactériocines. Ces molécules, de structure peptidique, peuvent avoir une action antibactérienne spécifique vis-à-vis de tel genre ou de telle espèce.
Le recours aux bactéries lactiques bactériocinogènes a déjà été préconisé pour éviter le développement de certaines bactéries d'altération et/ou pathogènes dans les fromages. Le plus souvent, ces bactéries sont utilisées comme culture starter (introduction dans le lait servant à la fabrication du fromage).
Les résultats obtenus concernant l'inhibition du développement de Clostridium sp. et la résolution du problème du gonflement butyrique dans les fromages à pâte cuite sont assez satisfaisants. L'introduction dans le lait de fabrication du fromage d'Emmenthal d'une souche de Lc. lactis ssp. lactis bactériocinogène (lactococcine A) a permis d'inhiber l'excroissance des spores de C. tyrobutyricum et d'empêcher le gonflement de la pâte (Thuault et al., 1991). L'excroissance des spores de C. sporogenes a également pu être évitée dans un fromage à pâte dure (Cheddar) par addition dans le lait de fabrication d'une souche de Lc. lactis, productrice de nisine (Eckner, 1992). Bien auparavant cependant, des effets défavorables concernant l'utilisation de souches de Lc. lactis productrices de nisine comme cultures starter lors de la fabrication des fromages à pâte dure ou semi-dure (toujours en vue de détruire Clostridium sp.) avaient été observés (Pulay, 1956). Ils se manifestaient par un défaut dans la formation des yeux des fromages, résultant de l'inhibition des souches starter hétérofermentaires présentes, et par une augmentation de la teneur en bactéries coliformes. Par ailleurs, étant donné la durée importante de la période d'affinage de ce type de fromages, une dégradation des bactériocines (en particulier la nisine) peut se produire, entraînant un gonflement tardif du fromage (Pulay, 1956).
Dans les fromages à pâte molle, le problème majeur de santé publique est constitué par la présence très fréquente de L. monocytogenes, en particulier dans les fromages fabriqués au lait cru. L'introduction dans ces fromages, au cours de la fabrication, de souches lactiques productrices de bactériocines anti-Listeria ne semble pas avoir donné des résultats très concluants jusqu'à présent.
La plupart des travaux réalisés concernaient les fromages de Camembert (fromage à pâte molle et croûte fleurie). Selon Sulzer et Busse (1991), des souches bactériocinogènes d'E. faecalis, de Lb. paracasei et de Lc. lactis (productrice de nisine) ensemencées dans le lait de fabrication, non seulement n'ont aucun effet sur le développement de L. monocytogenes en présence d'autres souches starter, mais de plus, seraient souvent inhibitrices de ces souches. En absence d'autres souches starter, un effet anti-Listeria est observé, mais il est peu intense. Cela a également été observée par Maisnier-Patin et al. (1992). L'absence d'effet anti-Listeria des souches de Lc. lactis productrices de nisine, utilisées comme souches starter en présence d'autres bactéries starter, provient du fait que ces souches sont souvent inhibitrices des cultures starter normalement utilisées quand elles y sont mélangées ; de plus, elles sont fréquemment sensibles aux phages et aux nisinases produites par divers genres de bactéries (Jarvis, 1967 ; Daeschel, 1993), ce qui réduit leur efficacité vis-à-vis de L. monocytogenes. Daeschel (1989) note également que les souches de Lc. lactis productrices de nisine, lorsqu'elles sont utilisées seules comme culture starter, ont des performances faibles. Des résultats positifs ont néanmoins été obtenus par Maisnier-Patin et al. (1992) qui ont montré que l'utilisation de la seule souche bactériocinogène (productrice de nisine) comme culture starter permettait, après avoir contaminé artificiellement le lait de fabrication, une réduction de 2 ou 3 unités décimales de la population de cette bactérie pathogène (initialement de 105 ou 103 UFC/g respectivement).
Les fromages à pâte molle et croûte lavée (de type Munster par exemple) ont été beaucoup moins étudiés. Pourtant leur contamination par L. monocytogenes constitue un réel problème de santé publique. Il a été montré dans le chapitre précédent que la contamination des fromages avait lieu au cours des lavages successifs et qu'elle pouvait donc concerner aussi bien les fromages au lait cru que les fromages au lait pasteurisé (dans le cas des fromages de Camembert, cette contamination concerne surtout les fromages au lait cru). Une seule étude peut être mentionnée, celle d'Asperger et al. (1989), et elle a conduit à des résultats négatifs : l'ensemencement d'une souche d'E. faecium, productrice d'une bactériocine, sur des fromages à croûte lavée contaminés superficiellement et artificiellement par L. monocytogenes tout au début de l'affinage, n'a aucun effet particulier sur le développement de cette bactérie au cours de l'affinage.
D'une façon générale, il apparaît, et cela n'est pas surprenant, que des souches productrices de bactériocines, ayant fait preuve d'une grande efficacité pour éliminer telle ou telle bactérie pathogène ou d'altération en bouillon de culture, ne confirment pas les espoirs placés en elles lorsqu'elles sont utilisées pour décontaminer un aliment. Il y a tout d'abord des problèmes relatifs à l'installation et la croissance de la souche (développement et rendement de production en bactériocine), surtout quand cette souche ne provient pas d'un produit laitier ou lorsqu'elle est ensemencée dans un aliment non traité thermiquement (par exemple dans le lait cru où la densité microbienne est très élevée). Il y a également des problèmes de disponibilité et de stabilité des bactériocines produites dont l'importance dépend de la composition et de la texture de l'aliment (phénomènes d'adsorption et de complexation, dégradations enzymatiques) (Pucci et al., 1988 ; Maisnier-Patin et al., 1992 ; Daeschel, 1993), mais aussi de son pH. Par exemple, la nisine est inefficace dans les aliments à pH neutre (Henning et al., 1986 ; Daeschel, 1989 ; Kim, 1993). Sa solubilité, sa stabilité et son activité sont en effet optimales à des pH très bas (environ pH 2) (Mohamed et al., 1984 ; Benkerroum et Sandine, 1988 ; Liu et Hansen, 1990). Cela est certainement une des raisons expliquant pourquoi les souches productrices de nisine se sont montrées si peu actives vis-à-vis de L. monocytogenes dans les fromages de Camembert. En ce qui concerne la pédiocine AcH (produite par P. acidilactici H), autre bactériocine bien connue, sa production est négligeable lorsque le pH devient supérieur à 5, bien qu'elle soit active dans une large gamme de pH (Biswas et al., 1991). L'utilisation d'une telle souche dans les fromages à pâte molle et croûte lavée n'est donc pas appropriée.
Afin de trouver une souche bactériocinogène anti-Listeria parfaitement adaptée du point de vue de son développement à l'aliment à traiter, en l'occurrence le fromage de Munster, il a semblé logique (du moins en théorie) de rechercher une telle souche dans le fromage lui-même. En pratique, cela semble moins logique car si de telles souches se trouvaient naturellement dans le fromage de Munster, le problème de la contamination de cet aliment par L. monocytogenes ne se poserait pas. Or, il se pose. Il a cependant été montré dans le chapitre précédent (voir tableaux II et III, p. 15, 16) que la contamination des fromages fermiers par L. monocytogenes était beaucoup moins fréquente et de moindre importance (en UFC/g) que celle des fromages de fabrication industrielle. L'hypothèse de la présence dans cette première catégorie de fromages de souches bactériocinogènes anti-Listeria, absentes dans l'autre catégorie, a donc été avancée. Le travail entrepris a donc consisté à rechercher de telles souches dans les fromages de Munster fermiers (chapitre 2) et, dans le cas où celles-ci existeraient effectivement, à vérifier tout d'abord qu'elles produisent bien en bouillon de culture, dans les conditions de température et de pH d'affinage des fromages de Munster, des bactériocines actives contre L. monocytogenes, stables et en quantités suffisantes (chapitre 3). Pour les souches retenues, un protocole de traitement des fromages de Munster contaminés au cours de l'affinage sera mis au point (chapitres 4 et 5) et un essai de purification de bactériocine sera réalisé (chapitre 6).
Isolement de souches bactériennes productrices de bactériocines anti-Listeria à partir du fromage de Munster
Introduction
La recherche de souches bactériennes, essentiellement lactiques, productrices de bactériocines dans le fromage de Munster, est effectuée sur des échantillons de fromage de Munster fermier. Un total de 1962 souches a montré, selon la méthode de Barefoot et Klaenhammer (1983) modifiée (voir p. 42), un antagonisme vis-à-vis de L. monocytogenes. Cet antagonisme se traduit par la présence, dans une "nappe" de culture de L. monocytogenes, de zones d'inhibition claires autour des colonies de la souche test. A ce stade, il s'agit d'un effet antagoniste pouvant être attribué à n'importe quel facteur antibactérien produit par une bactérie : acide organique (lactique, acétique), peroxyde d'hydrogène, diacétyle, bactériophage, bactériocine, antibiotique... Un certain nombre de tests doit donc être réalisé pour cribler les souches isolées afin de ne retenir que celles produisant des substances de type bactériocine.
Matériel et méthodes
I. Echantillons
Les fromages de Munster utilisés (392 échantillons), d'origine fermière et de 11 cm de diamètre, sont affinés dans une même cave d'affinage dans des conditions de température (15C) et d'humidité relative (95%) contrôlées. La recherche de bactéries productrices de substances anti-L. monocytogenes est effectuée dans des échantillons en fin d'affinage.
II. Souches bactériennes
Les bactéries utilisées (témoins négatifs) comme souches tests (souches testées pour leur activité antagoniste) et souches indicatrices (souches sur lesquelles est testée l'action inhibitrice des bactéries productrices de facteurs antibactériens) sont indiquées dans le tableau IX.
Tableau IX :
Les souches bactériennes utilisées et leurs originesPour tous les tests visant à révéler ou à mesurer l'activité bactéricide des bactériocines, L. monocytogenes 4d est choisie comme souche indicatrice.
Les bactéries sont conservées dans un mélange glycérol (30%), bouillon cerveau-coeur (70%) à -80C. Pour une conservation de courte durée, elles sont gardées sur une gélose de conservation de souches à 4C. Avant leur utilisation, les bactéries sont revivifiées par une ou deux subcultures dans des bouillons MRS ou TSLA (suivant les souches) à 30C pendant 18 à 24 h.
III. Détection des souches à activité anti-
ListeriaLe prélèvement est effectué sur toute l'épaisseur du fromage (il n'est pas spécifique au coeur ou à la croûte). La préparation des homogénats et l'isolement des bactéries lactiques sont réalisés de la manière décrite précédemment (voir p. 8 et 9). Toutefois, l'incubation ne dure que 18 à 24 h (obtention de colonies de petite taille).
Les bactéries isolées sont testées pour leur activité antagoniste vis-à-vis de L. monocytogenes par la méthode de détection directe de Barefoot et Klaenhammer (1983) (figure 14a), avec utilisation d'une double couche constituée de deux géloses différentes (MRS ou M17 avec LA (Lactobacilli Agar)) au lieu de deux couches de MRS. Les boîtes de MRS ou M17 présentant des colonies bien isolées (jusqu'à 100 unités) sont recouvertes de 10 ml d'une gélose de LA préalablement préparée de la façon suivante : la gélose fondue est refroidie à 45C, puis ensemencée d'une culture de L. monocytogenes 4d de 18 h dans un bouillon TSL à 37C (dilution 1/100) de façon à obtenir environ 106 UFC/ml. Après solidification, les boîtes de Pétri sont incubées pendant 18 h à 37C.
Les colonies entourées d'une zone claire dans la nappe de culture de L. monocytogenes 4d sont purifiées par des repiquages successifs sur une gélose MRS ou M17, avec incubation à 30°C pendant 48 à 72 h.
Figure 14 : Schéma représentant les méthodes de détection de l'antagonisme bactérien, adaptées d'après la méthode de détection directe de Barefoot et Klaenhammer (1983) (a) et la méthode des puits de Tagg et McGiven (1971) (b)
Les souches purifiées sont testées pour la production de substances antibactériennes autres que les acides organiques suivant la méthode des puits (méthode indirecte) de Tagg et McGiven (1971) (figure 14b), avec utilisation d'une double couche constituée de deux géloses différentes (MRS et LA) au lieu de deux couches de MRS. Un bouillon MRS est inoculé par la souche à tester au 1/106 à partir d'une culture de 18 h à 37C (fin de la phase exponentielle) de façon à obtenir 102 à 103 UFC/ml, puis incubé pendant 18 h à 37C. La culture obtenue est centrifugée à 2700 g pendant 10 min et à 4C. Le surnageant est ajusté à pH 6 avec de la soude 1M (Merck), puis filtré (filtre d'ester mixte de cellulose, 0,45 m, Costar). Le filtrat obtenu constitue l'extrait de culture. Parallèlement, des boîtes de Pétri en double-couche sont préparées de la façon suivante : des boîtes contenant une gélose MRS (20 ml) sont recouvertes de 10 ml de gélose LA ensemencée de L. monocytogenes 4d de la même manière que pour la méthode directe. Après solidification, des puits de 4 mm de diamètre sont creusés dans la gélose (à travers les deux couches) à l'aide d'un tube stérile. Les boîtes sont ensuite séchées pendant 10 min à 55C, avant que les puits soient remplis d'extrait de culture (60 l). Après diffusion complète de ce dernier dans la gélose (1 à 2 h à température ambiante), les boîtes sont incubées pendant 18 h à 37C, puis examinées pour la présence de zones d'inhibition (zones claires dans une nappe trouble formée par la croissance de la bactérie indicatrice) autour des puits.
IV. Identification des souches sélectionnées
Les souches sélectionnées sont identifiées à l'aide de la coloration de Gram, des tests à la catalase et à l'oxydase, de la détermination du type respiratoire et des galeries API 50 CH et API 20 STREP.
V. Mesure de l'activité anti-
Listeria de l'extrait de cultureL'activité antibactérienne est estimée par la mesure du diamètre de la zone d'inhibition observée autour des puits (figure 14b) (double de la distance en mm allant du bord du puit jusqu'au point où se termine l'inhibition de la croissance (fin de la zone d'éclaircissement)) (Drugeon et al., 1987).
Dans le cas où l'activité à mesurer est importante, un titrage est réalisé suivant la méthode de Mayr-Harting et al. (1972) : une série de dilutions en cascade au 1/2 de l'extrait de culture est effectuée dans le bouillon MRS, puis ces dilutions sont testées par la méthode des puits décrite précédemment. L'activité de l'extrait de culture testé (60 l) est égale à l'inverse de la dilution maximale donnant encore lieu à une zone d'inhibition détectable. L'activité de l'extrait de culture s'exprime en unités arbitraires par ml (UA/ml).
VI. Identification de la substance antibactérienne produite
1. Antagonisme par les bactériophages
Les extraits de culture des souches sélectionnées sont testés pour une éventuelle activité inhibitrice due à la présence de bactériophages virulents par une modification de la méthode décrite par Lewus et al. (1991) : détection par une méthode indirecte avec gélose MRS (voir p. 43), au lieu d'une méthode directe avec une gélose cerveau-coeur. Une portion de la gélose prise dans la zone d'inhibition autour des puits est broyée à l'aide d'une baguette stérile dans 5 ml de bouillon MRS puis filtrée (membrane d'ester mixte de cellulose, 0,45 m, Costar) et re-testée selon la méthode des puits. La formation d'une nouvelle zone d'inhibition est indicatrice de la présence d'un bactériophage.
2. Hydrolyse enzymatique de la substance antibactérienne
Les extraits de culture des souches sélectionnées sont traités par différentes enzymes : trypsine (14 U/ml, Sigma), -chymotrypsine (350 U/ml, Sigma), pronase E (8,8 U/ml, Sigma), ficine (0,5 U/ml, Sigma), pepsine (91 U/ml, Sigma), lipase (4,2 U/ml, Sigma), -amylase (0,6 U/ml, Sigma) et catalase (2600 U/ml, Merck). Tous les échantillons sont ajustés à pH 7 par addition de NaOH 1M (Merck), sauf dans le cas du traitement par la pepsine (pH 2, ajusté par HCl 37%, Merck), filtrés (filtre d'ester mixte de cellulose, 0,45 m, Costar) et incubés pendant 1 h à 37C lors du traitement par la pronase E, la pepsine et la lipase et à 25C lors du traitement par les autres enzymes. Les extraits de culture, traités ou non traités, sont ensuite testés par la méthode des puits (voir p. 43). La sensibilité d'une substance antibactérienne à une enzyme donnée est appréciée en déterminant l'activité résiduelle par mesure du diamètre de zone d'inhibition (voir § V, p. 43).
3. Spectre d'activité antibactérienne
La substance antibactérienne est testée pour son activité à l'égard de souches appartenant à différents genres de bactéries Gram+ et de bactéries Gram- (voir la liste des souches indicatrices dans le tableau IX) par la méthode des puits détaillée précédemment. La température d'incubation est de 37C pour toutes les bactéries, sauf pour celles des genres Brevibacterium et Micrococcus (30C).
4. Mode d'action
L'effet de la substance antibactérienne sur les bactéries sensibles (bactéricide ou bactériostatique) est étudié par la méthode de Toba et al. (1991). L'extrait de culture de la souche productrice est ensemencé au 1/10 à partir d'une culture de L. monocytogenes 4d de 18 h à 37C dans un bouillon TSL (correspondant à 107 à 108 UFC/ml). De la même manière, l'extrait de culture d'une souche de la même espèce que la bactérie productrice est ensemencé de L. monocytogenes 4d. Les suspensions bactériennes sont ensuite incubées à 37C.
Des dénombrements sur gélose TSLA du nombre de bactéries indicatrices viables sont effectuées à différents intervalles de temps.
5. Microscopie électronique à balayage
Les modifications de structure occasionnées chez les bactéries par la substance antibactérienne sont observées au microscope électronique à balayage suivant la méthode décrite par Kato et al. (1993), légèrement modifiée (introduction d'un séchage à l'étuve au lieu d'un séchage au dioxyde de carbone) : les cellules bactériennes d'une culture de L. monocytogenes 4d de 18 h à 37C dans un bouillon TSL sont déposées par centrifugation (2700 g pendant 10 min), lavées et remises en suspension dans le même volume d'une solution de NaCl à 0,85%, puis additionnées d'une quantité donnée de substance active (en UA/ml) à l'état purifié ou semi-purifié. Après différents temps d'incubation, les bactéries sont étalées sur une lame de verre préalablement traitée avec une solution de poly-L-lysine à 0,2% (Sigma) et séchée à température ambiante. Les bactéries sont ensuite fixées pendant 2 h avec un tampon phosphate 0,1 M (pH 7,2) contenant 1% de paraformaldéhyde (Sigma) et 2% de glutaraldéhyde (Sigma). La lame est ensuite déshydratée à l'aide de solutions hydroéthanoliques de plus en plus concentrées en éthanol, puis mise à sécher à 55C pendant 30 min avant d'être recouverte par une couche d'or à l'aide d'un métalliseur à pulvérisation cathodique (MED 010, Balzers Union). L'observation se fait ensuite à l'aide d'un microscope électronique à balayage (Stereoscan 240, Cambridge Instruments). Les photographies sont imprimées à l'aide d'un appareil de marque Sony (Mavigraph, UP-7000P).
Résultats et discussion
I. Sélection de souches bactériennes productrices de facteurs anti-L.
monocytogenes autres que les acides organiques
Dans le but d'éliminer la possibilité d'un antagonisme vis-à-vis L. monocytogenes par la production d'acides organiques, ce qui est le cas des bactéries lactiques en général, le surnageant d'une culture de 18 h à 37C des souches isolées est ajusté à pH 6 (à ce pH la croissance de L. monocytogenes est optimale). L'extrait de culture (surnageant neutralisé et filtré sur ester mixte de cellulose, 0,45 m, est alors testé par la méthode des puits déjà décrite (voir p. 43). Des zones d'inhibition autour des puits ne sont plus constatées que dans le cas de 6 souches bactériennes pour lesquelles l'inhibition de L. monocytogenes est donc due un facteur antibactérien autre qu'un acide organique.
L'identification des espèces bactériennes sélectionnées, réalisée à l'aide d'un test de Gram, de tests à la catalase et à l'oxydase, de la détermination du type respiratoire et d'une galerie Api 50 CH ou Api STREP (voir annexe VII), a montré que les 6 bactéries retenues sont :
- une souche de Lactobacillus brevis désignée DSM 9296
- une souche d'Enterococcus faecium désignée 81
- une souche d'Enterococcus faecalis désignée 96
- une souche de Lactococcus lactis désignée 102
- une souche de Lactococcus lactis désignée 99
- une souche de Lactococcus lactis désignée 53
Mise à part la souche de Lb. brevis dont la désignation correspond à la référence de dépôt auprès de la Deutsche Sammlung von Mikroorganismen und Zellkulturen GmbH (DSM), les bactéries isolées portent les numéros qui leur sont attribués dans la collection du laboratoire.
Le titrage de l'activité inhibitrice par la méthode de la dilution critique (Mayr-Harting et al., 1972) montre que l'activité anti-Listeria des 6 souches isolées est assez inégale (tableau X).
Tableau X : Activité anti-Listeria présente dans l'extrait de culture (pH 6) des souches isolées à partir
du fromage de Munster
II. Elimination de la possibilité d'antagonisme par les bactériophages ou par la production de peroxyde d'hydrogène ou de diacétyle
Une des caractéristiques de l'effet antibactérien des phages virulents est que chaque cellule bactérienne infectée et lysée donne naissance à des dizaines ou des centaines de nouveaux phages qui sont libérés dans le milieu et pourront déclencher de nouveaux cycles lytiques. Par conséquent, l'effet antibactérien se propage d'une bactérie à l'autre en s'amplifiant. Afin d'éliminer la possibilité de la présence de phages anti-L. monocytogenes virulents dans les extraits de cultures des souches isolées, une portion de la gélose prise dans la zone d'inhibition autour des puits, broyée dans un bouillon MRS, puis filtrée sur ester mixte de cellulose (0,45 m), et re-testée selon la méthode des puits, ne donne aucune zone d'inhibition. Cela signifie que l'effet inhibiteur ne peut pas se propager d'une bactérie à l'autre et donc qu'il n'est pas dû à la présence de bactériophages (Lewus et al., 1991). Les substances actives sont donc épuisées au cours de l'action antibactérienne, ce qui n'exclut pas la production de peroxyde d'hydrogène, de diacétyle ou de substances de type bactériocine ou antibiotique par les souches isolées.
L'activité anti-Listeria de l'extrait de culture des 6 souches productrices de substances antibactériennes disparaît cependant complètement en présence d'au moins 2 enzymes protéolytiques (voir tableau XI, p. 50), ce qui indique la présence d'une structure protéique dans la substance antibactérienne et exclut donc la présence d'eau oxygénée ou de diacétyle dont l'activité ne serait pas inhibée par de telles enzymes. L'absence d'eau oxygénée est confirmée par un test à la catalase négatif. Les substances antibactériennes produites sont donc, selon toute vraisemblance, des bactériocines ou des antibiotiques.
III. Identification des substances antibactériennes comme étant des bactériocines
Afin de vérifier s'il s'agit ou non de substances antibactériennes de type bactériocine, il convient d'abord de soulever le problème complexe de la définition de ces substances. En effet, les bactériocines, définies parmi les bactéries Gram- et les bactéries Gram+, représentent un groupe hétérogène de substances antibactériennes dont le poids moléculaire, les propriétés biochimiques, le spectre d'activité et le mode d'action peuvent être très différents.
A la suite de leurs travaux sur les colicines (bactériocines de bactéries Gram-), Tagg et al. (1976) citent 5 critères requis pour qu'une substance chimique soit dénommée bactériocine : la présence d'une partie biologiquement active de nature protéique, un spectre d'activité inhibitrice étroit et centré sur les espèces homologues, un mode d'action bactéricide, l'adsorption à des récepteurs spécifiques et la nature plasmidique des déterminants génétiques codant pour la production de la bactériocine et pour l'immunité à celle-ci. Des études ultérieures ont montré que parmi les bactériocines produites par des bactéries Gram+, et spécialement parmi celles produites par des bactéries lactiques, les exceptions à ces critères sont nombreuses.
En effet, la production de substances antibactériennes établies comme étant des bactériocines est déterminée dans de nombreux cas par des gènes situés sur le chromosome. C'est notamment le cas de la lactacine B (Lb. acidophilus N2) (Barefoot et Klaenhammer, 1983), de l'helvéticine J (Lb. helveticus 481) (Joerger et Klaenhammer, 1986) et de la lactacine F (Lb. acidophilus 11088) (Muriana et Klaenhammer, 1987). Aussi la condition de la détermination génétique par un plasmide n'est-elle plus retenue pour définir les bactériocines.
D'autre part, la majorité des bactériocines des bactéries lactiques s'adsorbent à des récepteurs non spécifiques, se trouvant aussi bien sur les bactéries sensibles que sur les bactéries résistantes (Desmazeaud, 1994, Malik et al., 1994). De plus, il a été montré que certaines bactériocines agissent sur des protoplastes ou des sphéroplastes (Andersson, 1986), ce qui montre que les sites de réception ne sont pas spécifiques.
Certaines bactériocines dont l'effet est bactéricide dans un milieu de culture de laboratoire peuvent montrer une action bactériostatique dans des milieux moins favorables à leur activité, comme c'est le cas dans les aliments (Pucci et al., 1988 ; Berry et al., 1990 ; Schillinger et al., 1991).
Par ailleurs, le spectre d'activité des bactériocines peut ne pas être restreint aux espèces proches taxonomiquement ou même occupant la même niche écologique que la bactérie productrice. D'un point de vue pratique, le champ d'activité d'une bactériocine peut être plus ou moins large suivant les conditions du milieu et la concentration en substance active (Klaenhammer, 1993).
La nature protéique des bactériocines semble être le seul critère immuable. Cela est généralement démontré par l'inactivation de celles-ci par un traitement avec des protéases. Toutefois, la bactériocine peut prendre la forme d'un complexe hétérogène incluant des groupements lipidiques ou saccharidiques (Jimenez-Diaz et al., 1993) ou d'une combinaison de protéines ou peptides distincts (Nissen-Meyer et al., 1992).
En définitive, deux définitions sont actuellement admises :
1-selon Konisky (1982), les bactériocines ont une nature protéique et sont inactives vis-à-vis des bactéries qui les produisent (il ne s'agit donc pas de "substances suicides") ;
2-selon Klaenhammer (1988), les bactériocines ont une nature protéique, un spectre d'activité limité aux espèces taxonomiquement proches, ou occupant la même niche écologique, et un mode d'action bactéricide.
Il apparaît nécessaire de noter que la limite séparant les bactériocines et les peptides antibiotiques n'est pas très bien définie. Selon Reeves (1972), les antibiotiques, contrairement aux bactériocines, possèdent un spectre d'activité généralement large, et même lorsque celui-ci est relativement étroit, il ne montre pas cet aspect préférentiel, retrouvé chez les bactériocines, pour les souches taxonomiquement proches de la bactérie productrice. Cependant, comme cela a été mentionné, beaucoup de bactériocines récemment caractérisées, spécialement parmi celles des bactéries lactiques, montrent des spectres d'activité qui ne sont pas toujours limités aux espèces proches (Malik et al., 1994). Selon Montville et Kaiser (1993), les antibiotiques sont des métabolites secondaires, synthétisés par des réactions enzymatiques, qui n'ont pas de fonctions apparentes dans la croissance de l'organisme producteur. La plupart des peptides antibiotiques connus (gramicidine S, bacitracine A et polymixine par exemple) répondent à cette définition. Par contre, la majorité des bactériocines caractérisées sont de "vraies protéines", c'est à dire qu'elles sont synthétisées par voie ribosomale (présence d'un gène correspondant à la séquence de la bactériocine) (Klaenhammer, 1993), et ceci bien qu'elles nécessitent souvent une transformation post traduction menant à la molécule active.
Au cours de ce chapitre plusieurs tests concernant la nature chimique (étude de la sensibilité enzymatique), le spectre d'activité (sensibilité de différentes souches bactériennes) et le mode d'action (bactéricide ou bactériostatique) des substances antibactériennes produites par les 6 souches isolées seront réalisés. Leurs résultats devraient permettre de dire si ces substances satisfont à la définition la plus utilisée pour les bactériocines, celle donnée par Klaenhammer (1988).
1. Facteurs antibactériens produits par les lactobacilles
1.1. Lb. brevis DSM 9296
1.1.1. Sensibilité aux enzymes
La substance inhibitrice produite par Lb. brevis DSM 9296 est inactivée par toutes les enzymes protéolytiques testées : pepsine, trypsine et -chymotrypsine, pronase et ficine. Aucune zone d'inhibition n'est détectée après mise en présence de ces enzymes, sachant que l'extrait de culture initial produit une zone d'inhibition sur L. monocytogenes 4d de 14 mm de diamètre (tableau XI). Par contre, aucune inactivation n'est constatée en présence de l'-amylase et de la lipase. L'extrait de culture de Lb. brevis DSM 9296 contient donc une substance de nature protéique qui est à l'origine de l'effet anti-L. monocytogenes observé.
Tableau XI : Sensibilité des substances antibactériennes produites par les souches isolées du fromage de Munster à différentes enzymes (tests effectués avec L. monocytogenes 4d comme souche indicatrice)
1.1.2. Spectre d'activité
Selon Tagg et al. (1976), le spectre d'activité des bactériocines des bactéries Gram+, bien qu'il puisse être variable suivant les souches, ne concerne jamais les bactéries Gram-. Aussi, dans le but de déterminer le champ d'activité de la substance antibactérienne produite par Lb. brevis DSM 9296, la sensibilité de différentes souches bactériennes à cette substance antibactérienne est évaluée. Les souches bactériennes testées font partie de sérotypes, d'espèces et de genres différents ; les bactéries Gram+ et Gram- sont représentées.
Toutes les espèces du genre Listeria testées sont sensibles à l'action du facteur antibactérien produit par Lb. brevis DSM 9296 (tableau XII). Toutefois, l'importance de l'effet antibactérien varie suivant les sérotypes. Cela a déjà été constaté pour plusieurs bactériocines, comme la nisine (Lc. lactis ssp. lactis 11454) (Benkerroum et Sandine, 1988), la pédiocine PA-1 (P. acidilactici PAC 1.0) (Nielsen et al., 1990) et la pédiocine AcH (P. acidilactici H) (Motlagh et al., 1992b). Concernant L. monocytogenes, tous les sérotypes testés sont sensibles, avec des diamètres de zone d'inhibition variant de 8 à 14 mm. L'inhibition des espèces de Listeria par des bactériocines de lactobacilles est bien connue : des bactériocines telles que la curvacine A produite par Lb. curvatus (Tichaczek et al., 1992) ou la sakacine A et la sakacine M produites par Lb. sake (Nettles et Barefoot, 1993) montrent une action inhibitrice vis-à-vis de L. monocytogenes. Cette propriété serait liée, selon Schillinger et Lüke (1989), à la position taxonomique de Listeria, proche de celle des lactobacilles (Ludwig et al., 1984 ; Ruhland et Fiedler, 1987 ; Stackebrandt et Teuber, 1988)
Le spectre d'activité de la substance inhibitrice produite par Lb. brevis DSM 9296 englobe également d'autres genres bactériens Gram+ (Lactobacillus, Enterococcus, Micrococcus et Staphylococcus). Par contre, les 2 genres de bactéries Gram- testées (Salmonella et Escherichia) ne sont pas affectées par la substance inhibitrice produite par Lb. brevis DSM 9296, ce qui est une caractéristique des bactériocines des bactéries Gram+ en général, et lactiques en particulier. La résistance des bactéries Gram- est attribuée à la nature particulière de leur enveloppe cellulaire, les mécanismes d'action décrits pour les bactériocines faisant intervenir une adsorption de ces molécules aux cellules sensibles. Selon Bhunia et al. (1991), la pédiocine AcH (produite par P. acidilactici H) interagit avec les acides lipotéchoïques, absents chez les bactéries Gram-. Ces molécules joueraient le rôle de site de réception non spécifique nécessaire pour produire l'effet bactéricide. Kalchayanand et al. (1992) attribuent la résistance des bactéries Gram- à la pédiocine AcH à la barrière que représenterait leur membrane externe. L'incapacité des bactériocines à traverser cette barrière est due à leur poids moléculaire et/ou à leur propriétés hydrophobes (Nikaido et Vaara, 1985 ; Schved et al., 1994a). Dans le cas ou la membrane externe est rendue perméable, soit par un traitement physique (Kalchayanand et al., 1992), soit par un traitement chimique (Stevens et al., 1991 ; Schved et al., 1994a), les bactéries Gram- deviennent sensibles aux bactériocines.
La spécificité de l'action des bactériocines parmi les bactéries Gram+ est fonction des caractéristiques des souches : composition des protéines et des phospholipides membranaires et de la couche de peptidoglycane. Selon Schved et al. (1994c), la séquence d'acides aminés d'une bactériocine donne lieu à un certain nombre de charges positives avec des positions relatives particulières, ce qui permet la reconnaissance d'un site récepteur par neutralisation des charges négatives se trouvant à la surface membranaire. Le deuxième facteur de spécificité concernerait l'interaction entre la séquence hydrophobe de la bactériocine et les phospholipides de la membrane (Schved et al., 1994c).
Tableau XII
: Spectres d'activité des substances antibactériennes produites par les différentes bactéries isolées du fromage de MunsterLa largeur du spectre d'activité des bactériocines de lactobacilles peut être assez variable. Certaines bactériocines en effet ont des spectres d'activité pouvant être restreints à une ou deux espèces du genre Lactobacillus, ce qui est le cas de l'helvéticine J (Lb. helveticus 481) et de la lactacine B (Lb. acidophilus N2) (Barefoot et Klaenhammer, 1983 ; Joerger et Klaenhammer, 1986). D'autres bactériocines de lactobacilles possèdent un champ d'activité pouvant regrouper n'importe quel genre de bactérie Gram+ : ce sont par exemple les plantaricines C19, A et B (Lb. plantarum C19, C-11 et NCDO1103) (Atrih et al., 1993 ; Nettles et Barefoot, 1993), la curvaticine A (Lb. curvatus LTH1174) (Sudirman et al., 1993) ou la lacidine A (Lb. acidophilus OSU133) (Liao et al., 1993). Le facteur antibactérien produit par Lb. brevis DSM 9296 possède un spectre d'activité qui le placerait dans cette deuxième catégorie.
1.1.3. Mode d'action
Selon la définition des bactériocines de Klaenhammer (1988), le mode d'action de ces molécules est de type bactéricide. Le but de l'étude réalisée est de voir si la substance antibactérienne produite par Lb. brevis DSM 9296 a effectivement un effet bactéricide ou simplement un effet bactériostatique. Il suffit pour cela de suivre l'évolution de la concentration en bactéries indicatrices viables (L. monocytogenes 4d) dans le milieu de culture (bouillon MRS). Une stabilité de la concentration en bactéries viables (UFC/ml en fonction du temps) est indicatrice d'un effet bactériostatique. Une baisse de cette concentration indique par contre un effet bactéricide.
La viabilité de la souche bactérienne indicatrice (L. monocytogenes 4d) incubée à 37C dans l'extrait de culture de Lb. brevis DSM 9296 est mesurée au cours du temps. Après seulement une demi-heure d'incubation, une diminution de 3 unités logarithmiques de la concentration de L. monocytogenes, initialement de 2,1.108 UFC/ml, est observée (figure 15a). Au terme de 60 min d'incubation, cette concentration diminue à 1,5.104 UFC/ml. La substance antibactérienne produite par Lb. brevis DSM 9296 présente donc un mode d'action de type bactéricide et cet effet bactéricide est relativement rapide.
La rapidité de l'effet bactéricide est une caractéristique de la majorité des bactériocines. Ainsi la lactacine B (Lb. acidophilus N2) (Barefoot et Klaenhammer, 1983), la lacticine 481 (Lc. lactis CNRZ 481) (Piard et al., 1990) et la pédiocine AcH (Pediococcus acidilactici H) (Bhunia et al., 1991) montrent un effet létal rapide (réduction de plus d'une unité décimale du nombre de bactéries sensibles pendant les 30 premières minutes d'incubation).
Figure 15
: Comportement de L. monocytogenes 4d dans l'extrait de culture de Lb. brevis DSM 9296 (a) et dans l'extrait culture (non actif) de Lb. brevis CIP 102806T (b) à 37CAu delà d'une heure d'incubation, la concentration de L. monocytogenes dans l'extrait de culture augmente de façon progressive. La lenteur de cette reprise de croissance peut être le fait de la présence de cellules bactériennes revivifiables mais présentant des lésions les empêchant de se diviser rapidement (Bhunia et al., 1991). Le fait que la population résiduelle de L. monocytogenes réussisse à se multiplier après l'effet du facteur inhibiteur montre bien que ce dernier agit selon un mécanisme en "single-hit" décrit par Tagg et al. (1976) pour les bactériocines. Cela signifie que le facteur inhibiteur produit par Lb. brevis DSM 9296, après avoir agi, est inactivé de façon irréversible. L'effet bactéricide ne peut donc pas se propager d'une bactérie à l'autre et ne permet d'obtenir par conséquent que des taux de réduction finis, dépendant de la quantité de molécules actives présentes.
Dans le cas où L. monocytogenes 4d est incubée dans l'extrait de culture (non actif) de Lb. brevis CIP 102806T (figure 15b), la population bactérienne reste globalement stable durant les 8 heures d'incubation, à des teneurs très élevées, comprises entre 108 et 109 UFC/ml.
Les résultats obtenus montrent donc que l'extrait de culture de Lb. brevis DSM 9296 contient bien une substance de nature bactéricide vis-à-vis de L. monocytogenes.
1.1.4. Illustration du mode d'action de la substance antibactérienne produite par Lb. brevis
DSM 9296
Dans le but de voir si l'effet bactéricide de la substance antibactérienne produite par Lb. brevis DSM 9296 est accompagné ou non d'une action cytolytique, des cellules de L. monocytogenes 4d, préalablement incubées en présence d'environ 13500 UA/ml de cette substance pendant 1/2 h et 5 h, sont observées au microscope électronique à balayage.
Les bactéries intactes montrent une structure typique en bâtonnets courts, à surface lisse et sans déformation (figure 16a). L'incubation de ces bactéries dans de l'eau distillée pendant 5 h n'entraîne pas de modifications morphologiques apparentes.
Après une demi-heure de contact avec la substance antibactérienne, les bacilles de L. monocytogenes présentent des modifications morphologiques importantes, avec notamment des éclatements de cellules en 1 ou 2 endroits (figure 16b) et une fuite du matériel cytoplasmique.
Après 5 h d'incubation, seule l'enveloppe cellulaire ouverte et présentant une surface irrégulière et perforée est encore visible pour les cellules lysées (figure 16c). Cette enveloppe se désintègre ensuite, donnant des débris responsables de l'aspect granulaire du champ d'observation. Certaines cellules bactériennes, apparemment non lysées, présentent également une surface rugueuse et perforée. Ces bactéries, bien que n'ayant pas éclaté, sont sans doute vidées de leur matériel cytoplasmique. Cela est confirmé par une coloration de Gram, qui révèle la présence de cellules bactériennes "fantômes".
Des modifications de structure de la paroi pourraient être à l'origine des changements morphologiques de la surface des bactéries. Le facteur antibactérien pourrait s'adsorber à des récepteurs de surface cellulaire de la bactérie sensible et altérer la fonction de barrière de la paroi par des changements conformationnels du mucocomplexe, ce qui permettrait aux molécules actives d'atteindre la membrane cytoplasmique. Un tel mécanisme a été envisagé par Kalchayanand et al. (1992) pour la pédiocine AcH produite par P. acidilactici H.
L'éclatement des bactéries serait en rapport avec le degré d'altération au niveau de la paroi, mais également au niveau membranaire où des pores hydrophiles (effet ionophore) de diamètres différents peuvent se former. Cela a déjà été constaté dans le cas d'une bactériocine, la pédiocine PA-1 (P. acidilactici PAC 1.0), par Chikindas et al. (1993). Concernant les bactéries non éclatées, les molécules actives pourraient occasionner la formation de pores, sans que la membrane cytoplasmique soit rompue. Cependant, étant donné l'importance des effets observés au niveau de la paroi, une désintégration de l'enveloppe cellulaire restante pourrait avoir lieu ensuite.
Le fait qu'une lyse bactérienne soit associée à l'effet bactéricide n'est pas un phénomène rare et a déjà été constaté par Toba et al. (1991) (reutéricine 6 produite par Lb. reuterii LA 6) et Bhunia et al. (1991) (pédiocine AcH produite par Pediococcus acidilactici H). Toba et al. (1991) notent cependant que la bactériolyse, dans le cas de la reutéricine 6, n'a lieu que lorsque les concentrations de celle-ci sont 10 fois ou plus supérieures à la concentration nécessaire pour avoir un effet létal. Si tel est le cas pour Lb. brevis DSM 9296, un effet bactéricide pourrait être obtenu avec des concentrations du facteur antibactérien bien plus faibles que celle utilisée dans ce cas (13500 UA/ml), comme dans l'extrait de culture par exemple.
Des résultats complémentaires à ces observations sont donnés dans le chapitre 6 (p. 162).
(a)
(b)
(c)
Figure 16 :
Changement de structure cellulaire de L. monocytogenes 4d après un traitement avec la substance antibactérienne produite par Lb. brevis DSM 9296 purifiée. (a) bactéries témoins, (b) traitement de 30 min avec la substance antibactérienne à 37C, (c) traitement de 5 h avec la substance antibactérienne à 37C1.1.5. Comparaison de la bactériocine produite par Lb. brevis DSM 9296 avec des
bactériocines produites par d'autres souches de lactobacilles
Le facteur antibactérien produit par Lb. brevis DSM 9296, qui est une substance de nature protéique avec un spectre d'activité relativement étroit (comparé à d'autres facteurs antimicrobiens) touchant préférentiellement les espèces proches et un mode d'action bactéricide, peut donc être considéré, selon la définition retenue par Klaenhammer (1988), comme une bactériocine.
Les lactobacilles sont bien connus pour la production de substances de type bactériocine (Klaenhammer, 1988 ; Nettles et Barefoot, 1993 ; Malik et al., 1994). Depuis la découverte de la première bactériocine du genre Lactobacillus (De Klerck et Coetzee, 1961), une vingtaine de bactériocines ont été caractérisées.
Parmi l'espèce Lb. brevis, seules deux bactéries bactériocinogènes sont connues. Rammelsberg et Radler (1990) ont décrit une bactériocine (brévicine 37) produite par Lb. brevis B37 et sensible à la pronase et à la trypsine. Une autre bactériocine (brévicine 27) produite par Lb. brevis SB27 et décrite par Benoît et al. (1994) possède un spectre d'inactivation enzymatique absolument identique à celui de la bactériocine produite par Lb. brevis DSM 9296, puisque les 8 enzymes testées dans les deux cas ont les mêmes effets sur les deux substances. Toutefois, ces deux bactériocines (brévicines 27 et 37), du fait qu'elles n'ont pas d'effet sur L. monocytogenes, sont certainement différentes du point de vue structure de la bactériocine produite par Lb. brevis DSM 9296.
Parmi les bactériocines produites par les autres espèces du genre Lactobacillus, seules 6 sont actives vis-à-vis de L. monocytogenes : il s'agit de la bavaricine A (produite par Lb. bavaricus MI401) (Larsen et al., 1993), des plantaricines C19 et UG1 (produites respectivement par Lb. plantarum C19 et UG1) (Atrih et al., 1993 ; Enan et al., 1994), des sakacines A et M (produites respectivement par Lb. sake Lb706 et 148) (Schillinger et Lüke, 1989 ; Sobrino et al., 1992) et de la curvaticine 13 (produite par Lb. curvatus LB13) (Sudirman et al., 1993). Elles se différencient cependant toutes de la bactériocine produite par Lb. brevis DSM 9296 par leur sensibilité aux enzymes, leur mode d'action ou leur structure (voir chapitre 6).
2. Facteurs antibactériens produits par les entérocoques
2.1. E. faecium 81
2.1.1. Sensibilité aux enzymes
Le facteur anti-Listeria contenu dans l'extrait de culture d'E. faecium 81 engendre des zones d'inhibition de 8 mm de diamètre à l'encontre de L. monocytogenes 4d. Aucune activité n'est détectée une fois que la substance antibactérienne est incubée en présence d'une protéase. De plus, l'activité anti-Listeria persiste après contact avec des enzymes non protéolytiques telles que la lipase et l'-amylase (tableau XI). Le facteur antibactérien produit est donc de nature protéique.
Selon leur profil d'inactivation par les protéases, deux catégories de bactériocines d'E. faecium peuvent être distinguées. Certaines sont inactivées par une large gamme de protéases (Parente et Hill, 1992a ; Arihara et al., 1993 ; et Kato et al., 1993 et 1994). La deuxième catégorie se distingue par sa résistance à certaines protéases, et notamment à la pepsine (Arihara et al., 1993 et Kato et al., 1994). Le spectre d'inactivation enzymatique de la substance inhibitrice produite par E. faecium 81 la placerait donc dans la première catégorie.
2.1.2. Spectre d'activité
L'activité inhibitrice de cette souche semble surtout concerner le genre Listeria (toutes les espèces et les sérotypes testés) (tableau XII). Seules Lb. plantarum et E. faecium 25, parmi les autres bactéries testées, sont inhibées, avec des diamètres de zone d'inhibition respectifs de 5 et 2 mm. L'importance de l'inhibition concernant le genre Listeria dépend des espèces et des sérotypes testés, avec des diamètres de zone d'inhibition variant de 2 à 4 mm. Selon Seeliger et Jones (1986), l'inhibition de Listeria sp. par les bactériocines des entérocoques n'est pas surprenante dans la mesure où les deux genres sont taxonomiquement proches. Stackebrandt et Teuber (1988) les classent en effet ensemble dans la branche phylogénétique des eubactéries Gram+ dite des Clostridium avec Staphylococcus, Streptococcus, Lactobacillus et Bacillus. Effectivement, plusieurs bactériocines produites par des souches d'E. faecium inhibent fortement les espèces du genre Listeria. Il s'agit des entérocines E1A (Krämer et Brandis, 1975) et 1146 (Parente et Hill, 1992a), ainsi que d'autres bactériocines (McKay, 1990, Arihara et al., 1993, Kato et al., 1994).
Les salmonelles et Escherichia (bactéries Gram-) ne sont pas sensibles à l'activité de la substance inhibitrice produite par E. faecium 81. L'explication possible de ce phénomène a été donnée page 52.
2.1.3. Mode d'action
Après contact de L. monocytogenes 4d avec la substance inhibitrice dans l'extrait de culture d'E. faecium 81, une diminution immédiate, bien que peu importante, de la concentration de bactéries indicatrices est observée (mesure effectuée par rapport à la concentration initiale de Listeria dans l'extrait de culture d'une souche d'E. faecium non productrice de substance inhibitrice) (figure 17).
Après une demi-heure, la réduction du nombre de bactéries viables est de 4 puissances décimales (la concentration de L. monocytogenes atteint 6.103 UFC/ml) (figure 17a), alors qu'elle reste stable à environ 107 UFC/ml dans l'extrait de culture d'E. faecium 25 (non producteur de substance inhibitrice) (figure 17b).
La stabilisation de la population résiduelle de L. monocytogenes après 8 h d'incubation s'explique sans doute par le fait que les cellules bactériennes présentent des lésions les empêchant de se diviser aussitôt après le contact avec la substance antibactérienne (Bhunia et al., 1991). En effet, après une durée d'incubation plus importante (24 h), L. monocytogenes atteint une phase stationnaire correspondant à une concentration d'environ 108 UFC/ml, ce qui montre que l'action de la substance produite par E. faecium 81 se fait selon un mécanisme en "single-hit", caractéristique des bactériocines (Tagg et al., 1976).
Figure 17
: Comportement de L. monocytogenes dans l'extrait de culture d'E. faecium 81 (a) et dans l'extraitculture (non actif) d'E. faecium 25 (b) à 37C
2.1.4. Illustration du mode d'action de la substance antibactérienne produite par E. faecium 81
L. monocytogenes 4d est incubée à 37C en présence de la substance antibactérienne à 540 UA/ml. Les cellules bactériennes sont examinées par microscopie électronique à balayage après 1/2 h et 2 h d'incubation. Les résultats obtenus sont présentés dans la figure 18.
Contrairement à ce qui a été observé avec Lb. brevis DSM 9296, la substance bactéricide produite par E. faecium 81 ne paraît pas induire de lyse cellulaire de L. monocytogenes. En effet, une fuite importante de matériel intracellulaire est constatée après 1/2 h de contact avec la substance bactéricide, sans aucun changement de la morphologie bacillaire typique ou de l'aspect de la surface cellulaire (figure 18a). A cause de sa densité, le matériel cytoplasmique forme des sortes de filaments entraînés par le flux du milieu extracellulaire. En réalité, ce matériel s'échapperait par une multitude de pores membranaires formés sur toute la surface cellulaire.
(a)
(b)
(c)
Figure 18 :
Changement de structure cellulaire de L. monocytogenes 4d après un traitement avec la substance antibactérienne produite par E. faecium 81 partiellement purifiée. (a) traitement de 30 min avec la substance antibactérienne à 37C, (b) et (c) traitement de 2 h avec la substance antibactérienne à 37C.Pour les bactéries témoins, voir figure 16a
Après 2 h d'incubation, une diminution de l'importance des filaments est constatée, ce qui rend compte d'une baisse du flux de matériel intracellulaire à l'approche de l'équilibre osmotique (figure 18b, c). A ce stade, bien que les bactéries indicatrices ne soient plus viables, elles gardent leur aspect caractéristique quasiment inchangé. Le passage des molécules actives à travers la paroi cellulaire de L. monocytogenes n'occasionne apparemment pas de changements structuraux importants de celle-ci (aspect lisse), ce qui expliquerait l'absence de lyse cellulaire.
La substance bactéricide produite par E. faecium 81 agirait donc au niveau membranaire en formant probablement des pores hydrophiles permettant la libération des constituants cytoplasmiques.
2.1.5. Comparaison de la bactériocine produite par E. faecium 81 avec des bactériocines
produites par d'autres souches d'E. faecium
Le facteur antibactérien produit par E. faecium 81 est une substance de nature protéique avec un spectre d'activité relativement étroit touchant préférentiellement les espèces proches et un mode d'action bactéricide, et peut donc être considéré comme une bactériocine, selon la définition donnée par Klaenhammer (1988).
La production de bactériocines par les entérocoques est connue depuis longtemps (Kjems, 1955). Bien que la fréquence des souches productrices de substances antibactériennes ait été évaluée à 50% (Krämer et Brandis, 1975), très peu de bactériocines ont été étudiées.
Arihara et al. (1993) ont décrit 3 bactériocines produites par des souches d'E. faecium dont l'effet est bactéricide non cytolytique. Ces bactériocines semblent toutefois différentes de la bactériocine produite par E. faecium 81 du fait de leur résistance à un traitement par la pepsine. Par contre, l'entérocine 1146 produite par E. faecium DPC 1146 et caractérisée par Parente et Hill (1992a) semble non seulement présenter un mode d'action identique à celui de la bactériocine produite par E. faecium 81, mais possède aussi la même sensibilité aux protéases. Par la suite, il sera néanmoins montré que l'activité de ces deux bactériocines varie de façon différente en fonction du pH du milieu et que leurs structures chimiques ne sont donc pas identiques (voir chapitre 3).
2.2. E. faecalis 96
2.2.1. Sensibilité aux enzymes
Parmi les enzymes protéolytiques testées, seule la pepsine n'inhibe pas l'activité antibactérienne de la substance inhibitrice produite par E. faecalis 96 (tableau XI). D'autre part, l'activité anti-Listeria se maintient en présence des enzymes non protéolytiques testées (lipase, -amylase). Par conséquent, la substance antibactérienne produite par E. faecalis 96 est une substance de nature protéique.
2.2.2. Spectre d'activité
La substance antibactérienne produite par E. faecalis 96 possède un champ d'activité inhibitrice très restreint, ne concernant que les espèces du genre Listeria, avec des zones d'inhibition allant de 0 à 8 mm de diamètre (tableau XII). L. monocytogenes semble cependant plus sensible à l'action de la substance inhibitrice que les autres espèces, telles que L. seeligeri et L. innocua 6a, qui sont relativement peu inhibées (zones d'inhibition 1 et 2 mm). Quant à L. ivanovii et L. innocua 6b, elles ne sont pas affectées par la substance inhibitrice produite par E. faecalis 96. L'inhibition de Listeria sp. par cette dernière souche s'explique par les mêmes raisons que celles avancées pour E. faecium 81 (position taxonomique assez proche des deux bactéries (Seeliger et Jones, 1986 ; Stackebrandt et Teuber, 1988)).
Les bactéries Gram- ne sont pas affectées par la substance inhibitrice produite par E. faecalis 96 (voir explications, p. 51).
2.2.3. Mode d'action
Un inoculum de L. monocytogenes 4d d'environ 108 UFC/ml est mis dans l'extrait de culture d'E. faecalis 96 et dans l'extrait de culture d'une souche de la même espèce (E. faecalis LIR 38) ne produisant pas de substance anti-Listeria. La concentration en L. monocytogenes est restée quasiment stable après 8 h d'incubation dans les deux extraits (figure 19).
Etant donné que l'extrait de culture d'E. faecalis 96 est actif (observation de zones d'inhibition), la stabilité de la population de L. monocytogenes dans l'extrait de culture d'E. faecalis 96 serait-elle synonyme d'un effet bactériostatique ? Des bactéries lactiques de différents genres produisent des substances antibactériennes ayant été désignées comme étant des bactériocines et qui sont connues pour leur mode d'action bactériostatique (du moins au pH auquel elles ont été testées) : Leuconostoc (leucocine S, (Lewus et al., 1991)), Lactobacillus (lactocine 27 (Upreti et Hinsdill, 1973) ; lacidine A (Liao et al., 1993)) et Pediococcus (pédiocine UL5, anciennement dénommée mésentérocine 5 (Daba et al., 1991)). Par contre, concernant le genre Enterococcus en général, et E. faecalis en particulier, aucune souche produisant des bactériocines à effet bactériostatique n'est connue.
Figure 19
: Comportement de L. monocytogenes 4d dans l'extrait de culture d'E. faecalis 96 (a) et dans l'extrait de culture (non actif) d'E. faecalis LIR 38 (b) à 37CUne incubation prolongée de la suspension de L. monocytogenes dans l'extrait de culture d'E. faecalis 96 montre qu'à partir de 16 h, une baisse progressive du nombre de bactéries viables a lieu, mais elle est inférieure à 2 unités logarithmiques après 36 h d'incubation
1 (figure 20). Cependant, dans l'extrait de culture d'E. faecalis LIR 38, la concentration de L. monocytogenes reste constante jusqu'à la fin de la période d'incubation (36 h). L'effet anti-bactérien obtenu dans l'extrait de culture d'E. faecalis 96 est donc bien de type bactéricide.Figure 20
: Comportement de L. monocytogenes 4d lors d'une incubation prolongée dans l'extrait de culture d'E. faecalis 96 (a) et dans l'extrait de culture (non actif) d'E. faecalis LIR 38 (b) à 37CLa substance produite par E. faecalis 96 semble donc exercer un effet bactéricide très faible et tardif comparativement à la plupart des bactériocines (Malik et al., 1994). En effet, l'effet bactéricide des bactériocines est généralement rapide, comme par exemple dans le cas d'une bactériocine (Bc-48) produite par E. faecalis ssp. liquefaciens B-48-28 dont l'action est quasiment instantanée (Lopez-Lara et al., 1991). Parmi les bactériocines connues, seule la pédiocine N5p (P. pentosaceus N5p) exerce un effet identique à celui de la substance antibactérienne produite par E. faecalis 96 : stabilisation du nombre de bactéries sensibles pendant 12 h puis apparition d'un effet bactéricide progressif (Strasser de Saad et Manca de Nadra, 1993).
2.2.4. Comparaison de la bactériocines produite par E. faecalis 96 avec des bactériocines produites par d'autres souches d'E. faecalis
Le facteur antibactérien produit par E. faecalis 96 est une substance de nature protéique qui a un spectre d'activité relativement étroit, touchant préférentiellement les espèces proches, et un mode d'action bactéricide à pH<6 (voir remarque en bas de la page 65). Par conséquent, selon la définition retenue par Klaenhammer (1988), cette substance peut être considérée comme une bactériocine.
Selon Lopez-Lara et al. (1991), la bactériocine (Bc-48) produite par E. faecalis sp. liquefaciens B-48-28 est sensible à la trypsine et à la pronase mais son activité se limite aux bactéries de la même espèce (pas d'effet inhibiteur sur Listeria sp.). Arihara et al. (1991) ont isolé 3 souches d'E. faecalis productrices de substances anti-Listeria qui possèdent un spectre d'hydrolyse enzymatique similaire (du moins pour les enzymes testées : sensibilité à -chymotrypsine, à la trypsine, à la pronase et résistance à la pepsine) à celui de la bactériocine produite par E. faecalis 96. Cependant, les autres éléments de comparaison possibles, tels que le mode d'action ou le spectre d'activité, ne sont pas indiqués par ces auteurs, ce qui ne permet pas d'établir une éventuelle similitude entre les différentes bactériocines.
3. Facteurs inhibiteurs produits par les lactocoques
3.1. Lc. lactis 102
3.1.1. Sensibilité aux enzymes
L'extrait de culture de Lc. lactis 102 n'est complètement inactivé que par deux des cinq enzymes protéolytiques testées (la pronase E et la ficine) (tableau XI). Il est également sensible à l'-chymotrypsine mais l'inactivation n'est pas totale. De plus, l'activité anti-Listeria de l'extrait de culture n'est affectée, ni par une enzyme lipolytique, ni par une enzyme glycolytique. La substance antibactérienne produite est donc de nature protéique.
3.1.2. Spectre d'activité
La substance antibactérienne produite par Lc. lactis 102 possède un spectre d'activité très étroit (tableau XII). En effet, parmi toutes les souches testées, l'inhibition est limitée aux seules espèces du genre Listeria. Les souches de L. monocytogenes sont toutes sensibles à l'action de la substance antibactérienne. Parmi les autres espèces de Listeria, seule L. ivanovii n'est pas sensible à l'action du facteur inhibiteur.
3.1.3. Mode d'action
L'inoculation de L. monocytogenes 4d dans un extrait de culture de Lc. lactis 102 entraîne une baisse de la population bactérienne d'un facteur de 103 après 2 h d'incubation (figure 21). Bien qu'une réduction de la population de L. monocytogenes soit notée à partir de 30 min d'incubation, cette réduction reste faible. L'action bactéricide se poursuit jusqu'à 4 h d'incubation, contrairement, par exemple aux bactériocines de Lb. brevis 9296 et d'E. faecium 81 dont l'action est achevée après seulement 1 h d'incubation.
La population résiduelle de L. monocytogenes reste stable pendant une durée de 4 h, sans doute, comme cela a déjà été indiqué pour Lb. brevis DSM 9296 (voir tableau XII), parce que les cellules bactériennes ayant survécu à l'action de la bactériocine sont pour la plupart endommagées et ne peuvent par conséquent se multiplier rapidement (Bhunia et al., 1991). Cependant, au delà de 8 h d'incubation, une reprise de la croissance de L. monocytogenes est observée, conduisant à une concentration de 108 UFC/ml après 24 h d'incubation. Ce résultat montre que l'action de la substance produite par Lc. lactis 102 se fait selon un mécanisme en "single-hit", ce qui est une caractéristique des bactériocines (Tagg et al., 1976). Cela a déjà été constaté pour les bactériocines produites par Lb. brevis DSM 9296 et E. faecium 81.
Figure 21
: Comportement de L. monocytogenes 4d dans l'extrait de culture de Lc. lactis 102 (a) et dans l'extrait de culture (non actif) de Lc. lactis M3 (b) à 37CDans l'extrait de culture de Lc. lactis M3 (ne contenant pas de facteur anti-Listeria), le nombre de bactéries indicatrices (environ 108 UFC/ml au départ) augmente lentement et très normalement pour atteindre 109 UFC/ml après 6 h d'incubation.
3.2. Lc. lactis 99
3.2.1. Sensibilité aux enzymes
Le facteur inhibiteur produit par Lc. lactis 99 donne une zone d'inhibition restreinte avec L. monocytogenes 4d (2 mm). La zone d'inhibition disparaît en présence de toutes les enzymes testées, protéolytiques ou non, sauf la catalase (tableau XI). La structure chimique du facteur inhibiteur (ou de son site actif) est donc probablement complexe, contenant, en plus de groupements protéiques, des entités de nature lipidique et polysaccharidique.
Ce résultat n'est pas unique ; des bactériocines produites par d'autres genres de bactéries lactiques sont également inactivées par des enzymes de type amylase, lipase ou phospholipase. Il s'agit par exemple de la plantaricine B (Lb. plantarum NCDO1103) (West et Warner, 1988) ou de la leuconocine S (Leuconostoc paramesenteroïdes OX) (Lewus et al., 1992).
3.2.2. Spectre d'activité
Le spectre d'activité de la substance antimicrobienne produite par Lc. lactis 99 semble être assez large, comparé à celui de la plupart des bactériocines, s'étendant à la majorité des genres de bactéries Gram+ testées (tableau XII). Toutes les espèces et sérotypes du genre Listeria testés sont inhibées. Les diamètres de zone d'inhibition atteignent 8 mm pour les sérotypes 3a et 3b. Les autres bactéries Gram+, mis à part une souche de Lc. lactis, sont inhibées mais avec de grandes variations dans les diamètres de zone d'inhibition, qui vont de 1 à 15 mm selon les espèces. Quant aux bactéries Gram- des genres Salmonella et Escherichia, elles ne sont pas inhibées par la substance antibactérienne (voir explications, p. 51).
3.2.3. Mode d'action
La réduction de la concentration en L. monocytogenes 4d, initialement de 8,5.107 UFC/ml dans l'extrait de culture de Lc. lactis 99, n'atteint pas 1 unité logarithmique après 30 min (figure 22). Cette concentration est de 5,0.105 UFC/ml après 1 h d'incubation à 37C. Contrairement à ce qui a été observé pour les bactériocines produites par E. faecium 81 et Lb. brevis DSM 9296 dont l'action rapide est achevée après 1 h, la baisse de la population de L. monocytogenes dans l'extrait de culture de Lc. lactis 99 se poursuit jusqu'à 5 h d'incubation ; le recours à l'enrichissement est alors nécessaire pour mettre en évidence la présence de L. monocytogenes 4d (<10 UFC/ml).
Figure 22
: Comportement de L. monocytogenes 4d dans l'extrait de culture de Lc. lactis 99 à 37CLe fait qu'une concentration de 10 UFC/ml soit retrouvée après 8 h d'incubation montre un début de reprise de la croissance bactérienne, l'action bactéricide n'ayant pas affecté l'ensemble des cellules bactériennes.
3.3. Lc. lactis 53
3.3.1. Sensibilité aux enzymes
Le spectre d'hydrolyse enzymatique du facteur antibactérien produit par Lc. lactis 53 est plus restreint que celui des facteurs antibactériens produits par Lc. lactis 102 et Lc. lactis 99 puisque le premier n'est sensible qu'à la pronase E et à l'-chymotrypsine (tableau XI). Les enzymes non protéolytiques (lipase et -amylase) n'ayant pas d'influence sur son activité antibactérienne, il s'agit donc d'une substance de nature protéique.
3.3.2. Spectre d'activité
Le spectre d'activité de la substance antibactérienne produite par Lc. lactis 53 s'étend à la majorité des genres de bactéries Gram+ testées (tableau XII). Toutes les espèces du genre Listeria, avec tous les sérotypes testés, sont inhibées. Concernant les souches de L. monocytogenes, elles présentent presque toutes la même sensibilité à l'effet antibactérien (diamètre de zone d'inhibition de 2 mm). A l'exception d'une souche de Lc. lactis, toutes les autres bactéries Gram+ testées sont inhibées, avec des diamètres de zone d'inhibition de 2 à 10 mm selon les espèces. Les bactéries Gram- (salmonelles et Escherichia) ne sont pas sensibles à la substance antimicrobienne (voir explications, p. 51).
Le spectre d'activité de la substance antibactérienne produite par Lc. lactis 53 est similaire à celui de la substance antibactérienne produite par Lc. lactis 99, puisque les mêmes souches sont inhibées par les deux bactéries antagonistes. Cependant, l'hydrolyse enzymatique des deux bactériocines montre qu'il s'agit bien de substances protéiques différentes (tableau XI).
3.3.3. Mode d'action
L'inoculation de L. monocytogenes 4d à la concentration de 4,6.107 UFC/ml dans l'extrait de culture de Lc. lactis 53 entraîne une réduction de cette concentration à 3.105 UFC/ml après 30 min d'incubation (figure 23). Après 1 h, il ne reste plus que 1,9.104 UFC/ml de bactéries viables. Leur nombre diminue ensuite très progressivement.
Figure 23
: Comportement de L. monocytogenes 4d dans l'extrait de culture de Lc. lactis 53 à 37CL'action bactéricide de la substance antibactérienne produite par Lc. lactis 53 est donc rapide et semblable à celle déjà observée dans le cas des bactériocines produites par Lb. brevis 9296 et E. faecium 81.
3.4. Comparaison avec des bactériocines produites par d'autres souches de Lc. lactis
Les facteurs antibactériens produits par Lc. lactis 102, 99 et 53 sont des substances de nature protéique qui ont des spectres d'activité (relativement larges dans le cas de Lc. lactis 99 et 53) ne touchant que les bactéries Gram+ (voir classifications, p. 75) et un mode d'action bactéricide. Par conséquent, selon la définition retenue par Klaenhammer (1988), ces substances peuvent être considérées comme des bactériocines.
Les lactocoques sont bien connus pour la production de bactériocines. La fréquence des souches productrices a été évaluée par Geis et al. (1983) à 5% (étude portant sur 280 souches). L'inhibition de Listeria sp. par les bactériocines des bactéries du genre Lactococcus n'est pas surprenante étant donné que Stackebrandt et Teuber (1988) les classent ensemble dans la même branche phylogénétique. Cependant, seuls deux exemples de bactériocines de lactocoques à effet inhibiteur sur Listeria sp. sont connus. Il s'agit de la nisine et d'une substance de type bactériocine caractérisée par Carminati et al. (1989). Aucune autre caractéristique de cette dernière bactériocine n'est cependant disponible, ce qui ne permet pas une comparaison avec les bactériocines étudiées.
Le profil enzymatique de la bactériocine produite par Lc. lactis 53 est identique à celui de la nisine. En effet, bien que la plupart des auteurs (Hurst, 1981, Delves-Broughton, 1990) distinguent la nisine des autres bactériocines par le fait que l'-chymotrypsine est la seule enzyme qui hydrolyse la nisine, il a été prouvé récemment que la pronase E est également active contre cette dernière (Kojic et al., 1991). De plus, comme pour la nisine, le spectre d'activité est relativement large. Ces deux bactériocines pourraient présenter des similitudes de structure, mais cela ne peut être apprécié que par une étude de la structure de la bactériocine produite par Lc. lactis 53.
La bactériocine produite par Lc. lactis 99 présente, comme pour la nisine, un spectre d'activité large, mais les deux bactériocines ont des profils d'inactivation enzymatiques différents. En effet, le profil d'inactivation enzymatique de Lc. lactis 99 est identique à celui des lactostrepcines (produites par différentes souches de Lc. lactis), en ce qui concerne la sensibilité à la trypsine, à l'-chymotrypsine, à la pronase, à la pepsine, mais aussi à la lipase (Nettles et Barefoot, 1993).
La bactériocine produite par Lc. lactis 102 est originale par rapport aux bactériocines de Lc. lactis 99 et 53 et à la nisine dans la mesure où, bien qu'elle soit bactéricide vis-à-vis de L. monocytogenes, son spectre d'activité n'est pas large. Le fait que les bactéries lactiques testées ne soient pas affectées par la bactériocine produite par Lc. lactis 102, signifie que dans le cas d'une éventuelle utilisation dans les aliments, cette bactériocine aurait une activité dirigée essentiellement contre L. monocytogenes.
De plus, la bactériocine produite par Lc. lactis 102 peut être distinguée des bactériocines d'autres souches de Lc. lactis, telles que les lactococcines, la lacticine 481, la diplococcine et la nisine, par le fait que ces dernières, bien qu'elles soient également sensibles uniquement aux enzymes protéolytiques (Nettles et Barefoot, 1993), présentent des profils d'inactivation enzymatique différents de celui de cette bactériocine.
Conclusion
Les substances anti-Listeria produites par les souches bactériennes isolées du fromage de Munster répondent aux critères retenus par Klaenhammer (1988) et peuvent donc être considérées comme des bactériocines. De plus, il a été montré (tableau XII) que les souches productrices sont résistantes à leurs propres substances inhibitrices. Les substances étudiées satisfont donc également à la définition des bactériocines donnée par Konisky (1982).
La proportion de souches productrices de bactériocines parmi celles isolées des fromages de Munster au cours de cette étude (0,3%) paraît bien plus faible que ce qui est généralement rapporté dans d'autres travaux (Krämer et Brandis, 1975 ; Geis et al., 1983). Sans doute, cela est-il dû à la très faible diversité des souches étudiées, les échantillons analysés provenant d'une même fromagerie ayant un nombre limité de fournisseurs de lait.
Suivant leur sensibilité aux différents traitements enzymatiques (tableau XIII), les bactériocines étudiées peuvent être classées en deux catégories :
Tableau XIII
: Récapitulatif des caractéristiques des bactériocines produites par les souches bactériennes isolées des fromages de Munster-des complexes protéiques hétérogènes pouvant regrouper des fonctions lipidiques et/ou glucidiques (cas de la bactériocine produite par Lc. lactis 99).
-des substances sensibles uniquement aux protéases testées et donc à structure protéique probablement homogène (cas des bactériocines produites par les 5 autres souches).
Lors de la caractérisation des bactériocines, des variations importantes dans les spectres d'activité sont constatées (tableau XIII). Il est également noté que la sensibilité d'une souche dépend du genre, de l'espèce et même du sérotype à l'intérieur de la même espèce. Ces variations de sensibilité sont dues aux caractéristiques des souches (présence ou absence de sites récepteurs ou d'immunoprotéines) et donc aux niveaux de lésions occasionnées par le facteur inhibiteur (Kalchayanand et al., 1992).
Les bactériocines connues (par exemple la nisine) n'agissant pas toujours sur les espèces taxonomiquement proches, des classifications des bactériocines suivant leurs spectres d'activité sont apparues nécessaires. Klaenhammer (1988) classe les bactériocines des bactéries lactiques en deux groupes : des bactériocines à spectre d'activité classique inhibant les espèces proches ou occupant la même niche écologique et des bactériocines à spectre d'activité englobant une large gamme de bactéries Gram+. Cette classification a été développée par Muriana (1993) qui divise les bactériocines des bactéries lactiques en 4 groupes : des bactériocines inhibant uniquement les espèces du même genre (ex : helvéticine J (Joerger et Klaenhammer, 1986), diplococcine (Nettles et Barefoot, 1993)) ; des bactériocines montrant un spectre d'activité visant prioritairement les bactéries lactiques (ex : brévicine 37 (Rammelsberg et Radler, 1990), lactocine S (MÆ rtvedt et Nes, 1990)) ; des bactériocines à spectre d'activité visant les bactéries Gram+, même celles ne faisant pas partie des bactéries lactiques (ex : pédiocine AcH (Bhunia et al. (1988), nisine (Nettles et Barefoot, 1993)), et enfin des bactériocines à spectre d'activité pouvant inclure des bactéries Gram-. L'existence de cette dernière catégorie est pourtant très contestée car les inhibitions qui sont parfois observées sont dues soit à un ensemble de facteurs agissant en synergie (H2O2, acides organiques,...) (Desmazeaud, 1994), soit à la combinaison de l'effet des bactériocines avec un traitement chimique (agents chélateurs) (Stevens et al., 1991) ou physique (congélation, chauffage) (Kalchayanand et al., 1992), ce qui facilite leur passage à travers la membrane externe. De plus, l'inhibition des bactéries Gram- n'a jamais été démontrée dans le cas des bactériocines purifiées des bactéries lactiques (Klaenhammer, 1988).
Les bactériocines produites par les 4 bactéries lactiques isolées (Lb. brevis DSM 9296, Lc. lactis 102, Lc. lactis 99 et Lc. lactis 53) pourraient être classées dans la deuxième catégorie selon la classification de Klaenhammer (1988) et dans la troisième catégorie selon la classification de Muriana (1993). Bien que les entérocoques ne fassent pas partie des bactéries lactiques (Shleifer et Klipper-Bläz, 1987), Klaenhammer (1993) classe les entérocines parmi les bactériocines des bactéries lactiques. Les bactériocines produites par E. faecium 81 et E. faecalis 96 peuvent donc être situées d'après leurs spectres d'activité respectivement dans la deuxième et dans la première catégorie selon la classification de Klaenhammer (1988), et dans la troisième catégorie selon celle de Muriana (1993).
Les bactériocines produites par les bactéries isolées du fromage de Munster possèdent toutes un effet bactéricide (tableau XIII). Comme cela a été montré pour Lb. brevis DSM 9296 et E. faecium 81, cet effet peut avoir lieu avec ou sans une bactériolyse, qui ne semble donc pas conditionner l'action létale. Selon Toba et al. (1991) et Bhunia et al. (1991), l'existence d'une bactériolyse dépend de la concentration de bactériocine et de la sensibilité des souches bactériennes. Cependant, une action bactéricide lytique est observée en présence du facteur antibactérien produit par Lb. brevis DSM 9296, même quand l'activité bactéricide est plus faible que dans le cas de la bactériocine produite par E. faecium 81 dont l'action se fait sans lyse (résultat non présenté). Ceci montre donc que la bactériolyse n'est pas seulement liée à la concentration de substance active, mais que certaines bactériocines sont plus aptes que d'autres à induire une lyse des cellules bactériennes.
Il faut noter par ailleurs, le décalage constaté entre l'activité des extraits de culture, qui est de loin plus élevée dans le cas de Lb. brevis DSM 9296 et d'E. faecium 81, et les taux de réduction de L. monocytogenes, obtenus lors de l'étude du mode d'action, qui sont parfois plus élevés dans le cas des lactocoques par exemple que dans le cas de Lb. brevis DSM 9296 et d'E. faecium 81. Cela est probablement en relation avec l'aptitude des bactériocines à être plus actives dans un milieu gélosé que dans un bouillon ou inversement.
La nomenclature des bactériocines n'obéissant pas à des règles bien établies (Tagg et al., 1976), il a été décidé de désigner les bactériocines produites par les 6 souches isolées de la façon suivante:
-brévicine 9296 pour la bactériocine produite par Lb. brevis DSM 9296,
-entérocine 81 pour la bactériocine produite par E. faecium 81,
-entérocine 96 pour la bactériocine produite par E. faecalis 96,
-lactococcine 102 pour la bactériocine produite par Lc. lactis 102,
-lactococcine 99 pour la bactériocine produite par Lc. lactis 99,
-lactococcine 53 pour la bactériocine produite par Lc. lactis 53.
Avant d'envisager l'utilisation de ces souches productrices de bactériocines dans les fromages de Munster en vue d'éliminer L. monocytogenes (voir chapitre 4), une étude dans les milieux de culture de laboratoire est préalablement nécessaire. Cette étude permettra en effet de déterminer l'influence de deux paramètres, la température, et surtout le pH, sur la quantité de bactériocines produites et leur activité anti-Listeria, leur cinétique de production et leur stabilité, et ainsi de sélectionner les souches dont l'efficacité serait a priori la plus satisfaisante dans les fromages.